Nous étions six dans la salle de séjour de Domitys Ker Madiou à assister à la présentation d’écrivains par Gaelle Brien et Isabelle Pérez, de la bibliothèque de La Boissière, à Morlaix. Audience petite, mais de qualité ! Le sujet du jour ciblait les romans du terroir et les romans paysans.
DEUX GENRES LITTÉRAIRES PROCHES.
Le roman du terroir a pris racine au Québec, comme mouvement de résistance à la culture anglo-saxonne du reste du Canada. Il avait pour thèmes la terre, la famille, la religion (souvent catholique) et la défense de la langue française. Chez nous le roman du terroir partage les mêmes valeurs de résistance à la modernité, de fidélité à la terre paternelle et de glorification de la vie rurale.
Le roman paysan, parfois considéré comme un sous-genre du roman du terroir, est plus réaliste et plus ancré dans une région précise. Il idéalise moins la vie rurale et rend davantage compte de ses difficultés, dépeignant parfois les tensions sociales entre modernité et traditions locales. Marcel Pagnol, par exemple, donne une image de la campagne peu valorisante.
EN ATTENDANT SIGNOL
Christian Signol plait autant par les thèmes qu’il aborde (ruralité, terre, mémoire, transmission) que par son style accessible et chaleureux. Il excelle dans les souvenirs d’enfance, les récits familiaux et sa description lyrique des paysages. Il est l’auteur qui « sort le plus », parole de bibliothécaire. À voir la précipitation de ses fans pour se procurer son dernier livre, on mesure leur impatience quand celui-ci tarde à arriver. Gaelle Brien nous présente des romans qui peuvent permettre de combler l’attente.
Dans Le Temps et la Paille, Jean Anglade met en scène un homme de plus de quatre-vingts ans, veuf, isolé dans son village de Cournon-d’Auvergne, abandonné de ses trois enfants. Avec l’aide d’un jeune voisin, il recourt à internet pour se faire adopter comme grand-père. Une merveille littéraire qui traite de la solitude des personnes âgées.
Le cachot de Hautefaille de Marie-Bernadette Dupuy, publié en 2009, est un roman qui mélange habilement les genres du fantastique et du policier. Une journaliste en vacances dans les Highlands, près du Loch Ness en Écosse, rencontre un couple de jeunes mariés québecois en voyage de noces, Sarah et Jérémie. Sarah est troublée par des visions qui semblent liées aux tragédies du passé. De retour au Québec, les dangers ne font que commencer…
Dans Un bouquet de dentelle, Marie-Paul Armand nous plonge dans l’univers de la dentelle de Calais, au XIXe siècle, sur fond de lutte des classes. Une jeune ouvrière, Léonie, va devoir affronter les épreuves de la vie et les secrets de sa famille.
La Fille de la fabrique, de Georges-Patrick Gleize, baigne aussi dans le monde du travail. En 1960, Gaston Maréchal, patron autoritaire d’une faïencerie à Martres-Tolosane, près de Toulouse, est retrouvé noyé après une partie de pêche. Quatre ans après, sa fille Monique, espérant se consoler d’un récent veuvage, revient au pays et prend les rênes de l’entreprise familiale. Mais elle se heurte à la méfiance des employés et à l’hostilité du contremaître.
Dans le roman de Jean-Paul Malaval, La belle étrangère, c’est Clara, fille d’immigrés italiens auxquels le vieux Maximin Maringot a décidé de céder sa propriété, dont ils sont les métayers depuis 1930. Au lendemain de la Libération, dans ce petit village de Corrèze, cela est perçu comme une trahison. Une intrigue qui évoque l’immigration, l’exil et la peur de l’autre. Des thèmes qui résonnent avec l’actualité.
Entre l’Alsace et la Lorraine, Là où nait l’espoir, d’Élise Fischer, se penche sur le destin de deux enfants, Édouard et Reine, nés dans la tourmente de la dernière guerre. Un temps éloignés l’un de l’autre, ils se retrouvent cinquante ans après le conflit et décident d’affronter ensemble les spectres du passé.
Saga familiale dans la région d’Aigues-Morte, Les Couleurs de l’oubli, de Christian Laborie, est l’histoire d’un couple heureux, Emma et Florian. Il a réchappé au naufrage du Titanic, mais pas la sœur jumelle d’Emma. Jusqu’à l’arrivée, quatorze ans plus tard, d’un troublant Italien, Vincenzo, fuyant le fascisme. Amour et réveil de secrets au milieu des salins camarguais.
Dans La Terre blessée, Alain Paraillous relate le combat de l’homme contre les forces de la nature. Le 24 janvier 2009, la tempête Klaus a détruit les serres et ravagé les cultures de Christian, petit-fils et fils d’immigrés italiens qui ont travaillé dur sur cette terre du Sud-Ouest. Terre qu’il s’est évertué à entretenir et moderniser. Les jours suivants, avec les aides fournies par l’État, il entame la reconstruction de son exploitation. Puis viennent l’abattement et la remise en question.
Dans Du même bois, publié en 2024, Marion Fayolle brosse le tableau d’un monde rural en disparition. Elle raconte l’histoire de trois générations d’une famille d’éleveurs dans une ferme ardéchoise. Son idée est que humains et animaux ressentent des choses, sont du même bois, même si les seconds n’ont pas la parole pour les exprimer.
APPARENTÉS TERROIR.
Isabelle Pérez, qualifiée de « ma chef » par Gaelle, nous a ensuite présenté « cinq romans tout courts » proches de la thématique des romans du terroir.
Dans L’Annonce, paru en 2010, Marie-Hélène Lafon raconte l’histoire d’Annette qui répond à la petite annonce de Paul et emménage avec son fils à sa ferme du Cantal, dans un logement séparé de celui des oncles et de Nicole. Il lui faut s’adapter à cet environnement… Un roman proche des Profils paysans de Raymond Depardon. Cet extrait donne une idée du style : « La nuit de Fridières ne tombait pas, elle montait à l’assaut, elle prenait les maisons les bêtes et les gens, elle suintait de partout à la fois, s’insinuait, noyait d’encre les contours des choses, des corps, avalait les arbres, les pierres, effaçait les chemins, gommait, broyait ».
Serge Joncour était inconnu lorsque la bibliothèque de Morlaix l’avait reçu après la parution de son premier roman, UV. Aujourd’hui, détenteur de nombreux prix littéraires, il est franchement reconnu. L’Amour sans le faire, publié en 2012, adapté au cinéma en 2019 par Jessica Palud sous le titre Revenir, raconte l’histoire de Franck, meurtri par la vie, qui revient dans la ferme de ses parents après dix ans d’absence. Il y retrouve Louise et le fils de Louise, Alexandre, 5 ans, qui a le même prénom que son frère disparu. Leur relation évolue doucement, et les trois partagent des moments de complicité, créant ainsi une sorte de famille improvisée. Serge Joncour est passé maître dans l’art de saisir les émotions.
Dans L’Homme qui plantait des arbres, écrit en 1953, Jean Giono raconte sa rencontre, en 1913, avec un berger des Alpes provençales qui a transformé une lande désertique en un paradis vert. On sait aujourd’hui que ce récit pour « faire aimer à planter des arbres » est une fiction. Le livre est considéré comme un manifeste de la cause écologique.
Le camp des autres, de Thomas Vinau, paru en 2017, est un roman historique. Au début du XXe siècle, Gaspard, un jeune garçon fuit dans la forêt avec son chien. Blessé, il est recueilli par un homme mystérieux. Ils rejoignent un groupe de rebelles. Gaspard va alors apprendre à survivre et à s’épanouir dans un monde hostile.
Le Champ est le nom du cimetière d’une petite ville fictive autrichienne, Paulstadt. Dans ce roman très original de Robert Seethaler, ce sont les morts qui racontent leur histoire. La vie tourne autour des figures locales : le maire, la fleuriste, le facteur, le curé dévoré par les flammes dans l’incendie de l’église, le marchand de légumes…